Naji El Khatib
Publié le 20.01. 2017
Concernant L’Initiative Française pour la paix au Proche-Orient (03.06.16) et La Conférence Internationale pour la Paix au Proche-Orient de Paris (15.01/2017) comme Dernière illusion de la solution moribonde de Deux États
Après les 100 ans de l’accord Franco-Britannique de Sykes-Picot du 16 mai 1916 avec ses conséquences dramatiques pour toute la région et notamment pour les deux peuples palestinien et kurde. Après tant de guerres coloniales et une coopération active avec l’État d’Israël (guerre de Suez Israélo-Franco- Britannique de 1956, la fabrication de la première bombe nucléaire Israélienne avec l’aide de la France), la France, responsable en premier lieu du conflit (avec l’Angleterre), « veut sauver la solution de Deux États pour la paix au Proche-Orient ».
Or, cette version Française de la paix négociée ne présente nullement une avancée majeure par rapport à la précédente exclusivement américaine. C’est une initiative qui laisse, comme le précédent « processus de paix », les deux acteurs du conflit face à face comme s’il s’agissait de deux belligérants de force égale sans tenir compte, ni du déséquilibre total dans ce rapport de force entre palestiniens et Israéliens, ni de la nature coloniale de ce conflit.
L’initiative Française ne propose ni calendrier, ni moyens d’action pour mettre à l’œuvre la volonté d’aboutir à la paix et se contente de créer des commissions pour parler de sécurité et d’incitations économiques pour sortir de l’impasse actuelle. C’est une initiative qui se réfère au droit International d’une façon sélective et partielle : le choix de l’unique résolution 242 et l’occultation de toutes les autres résolutions des Nations Unis sont lourds de sens et de conséquences. Il s’agit d’une absence du cadre de la légalité internationale qui répète inlassablement le défaut majeur de l’Accord d’Oslo, qui a conduit à des négociations stériles pour la paix mais plein d’avancées ravageuses pour la colonisation de peuplement. Une colonisation rampante qui a triplé le nombre de colons et qui grignote massivement l’espace territorial du futur État palestinien promis. Et elle est un obstacle majeur pour aboutir à une paix négociée et à la création de l’État palestinien.
Or, devant ces faits accomplis sur le terrain, les propositions de cette conférence de Paris sont médiocres et sans effets notables. La constitution des Commissions, seule « réalisation » de la Conférence, reflète d’autres centres d’intérêt qui ne correspondent pas véritablement à la paix « affichée ».
La référence à la résolution 242 des Nations-Unis mériterait une commission travaillant sur les entraves que la poursuite de la colonisation représente. Le statut de Jérusalem-Est nécessiterait également la constitution d’une commission spécifique. La question de Jérusalem-Est est cruciale, car non seulement elle est une partie intégrante des territoires occupés en 1967 (alors que la résolution en question réclame l’évacuation de tous les territoires occupés y compris Jérusalem), mais elle a été déjà directement annexée bien qu’elle est toujours revendiquée par les Palestiniens comme future capitale de leur État.
L’absence de ces deux commissions travaillant sur ces deux questions capitales, montre l’inconsistance de cette initiative, sa répétition ennuyeuse faite de généralités inutiles, sans précision des mécanismes des moyens d’actions et des modalités dissuasives pour les parties en conflit.
Et le comble a été la déclaration finale de la Conférence en deçà des énoncés de base de l’initiative. Sous les pressions Israélo-américaines, la France a fait une marche arrière : pas de référence ferme à la question de la fin de l’occupation, ni à la création d’État palestinien, et pas de propositions affirmatives sur l’arrêt de la colonisation. Ces « ratés » de la déclaration finale nous ramène de nouveau au défunt « processus de paix », un processus qui a aggravé la situation en restant un outil de gestion du conflit et non pas un outil de résolution de ce conflit. Cette gestion a été un vecteur bénéfique pour Israël : plus de colonisation et plus de normalisation de ses relations avec le monde arabe et la mort définitive de la solution de deux États.
Or, « sauver la paix et la solution de deux États », objectif affiché par la France, nécessite un retour à la légalité internationale dans son ensemble et l’annonce d’une autre politique conduisant à la paix : au lieu de créer une commission pour la coopération économique pour favoriser la paix, il aurait fallu utiliser l’arme économique pour amener Israël à admettre l’application des résolutions de l’ONU concernant le conflit.
Mais, malheureusement, l’impunité d’Israël reste intacte et l’arme juridique censé le conduire à respecter les droits internationaux se retourne contre les militants français menacés par des poursuites judiciaires en défendant la nécessité de pression économique contre la politique coloniale et d’apartheid de l’État d’Israël. La France punie ces militants du BDS (Boycott, désinvestissement, sanctions) et assimile le boycott et l’antisionisme à l’antisémitisme. Cette politique disqualifie la France et ses prétentions pour jouer un rôle dans un processus de paix juste et durable et montre que le gouvernement Français est peu soucieux d’une installation d’une paix basée sur la justice, seule capable d’amener la stabilité régionale et mondiale.
Pas de paix sans justice
Si l’Initiative française cherche l’instauration de la paix, il aurait fallu insister sur une approche différente de celle qui a échoué pendant 23 années de négociations. Une approche de la paix basée sur la justice représenterait une alternative fiable, mais hélas, la France soucieuse de sauver l’État d’Israël malgré lui, camoufle les bruits de la guerre dans laquelle, elle est entièrement engagée au nom de la lutte contre les Djihadistes en Syrie et en Iraq, et elle est loin de jouer ce rôle de sauveur de la paix dans la région.
L’échec de son Initiative est l’annonce de la mort de la dernière illusion d’une paix sur la base de la création d’un État Palestinien à côté de l’État d’Israël. Une mort annoncée sans qu’elle soit encore déclarée. Le rejet de la droite israélienne pour cette initiative et la hâte d’une classe politique palestinienne, (toujours aux commandes mais largement discréditée par son peuple), de saluer cette initiative avant de l’examiner en profondeur, ont montré l’impasse profonde entre la paix souhaitée par les peuples et les volontés des États excluant de leurs stratégies géopolitiques les notions de justice.
Si la France veut sauver la solution de deux États non pas pour instaurer la paix et la justice mais essentiellement pour garantir la sécurité de l’État d’’Israël, nous ne pouvons pas accorder à cette initiative la qualité éthique d’une solution juste pour une paix durable. Dans ce contexte, quand cette initiative écarte toute référence à la résolution 194 en se contentant de ne mentionner que la 242, elle montre le mépris pour la justice et pour la vérité historique : le problème palestinien ne date pas de la guerre de 1967(la résolution 242 concernant le retrait des forces d’occupation des T.O.) mais de celle de 1948 (la résolution 194 sur le droit au retour des réfugiés palestiniens).
Dans les faits, la solution de Deux États que l’initiative française prétend promouvoir ne concerne qu’un tiers du peuple palestinien en excluant les deux tiers restants. En même temps, elle entérine l’État d’Israël comme un État Juif exclusivement car le retour des réfugiés à leurs foyers menace son caractère principalement juif.
Alors, la France qui combat les extrémistes de l’État Islamique en Syrie et en Iraq, défend Israël en tant qu’État Juif sans les natifs Palestiniens que leur retour menace sa « pureté » juive. Nous pouvons d’ailleurs, qualifier cette solution de Deux États comme une solution raciste à cause de cette exclusion de Droit au Retour pour les réfugiés palestiniens de 1948, chassés par une guerre de nettoyage « ethnique » planifiée.
Prétendre à une recherche de la paix sans justice est le maître mot de ces « solutions » dites de « paix ». Et si une partie minime des Palestiniens adhère à ce genre d’initiative en imaginant pouvoir se débarrasser des forces Israéliennes d’occupation, cela dénote d’une illusion qui s’opère au détriment de droits de deux autres tiers restants, alors il est difficile de parler d’une paix durable.
Or, la sécurité, la stabilité et la paix ont besoin d’une justice véritable qui manque visiblement à cette initiative comme il a manqué à tous les autres efforts américains pendant ces 23 années de comédie de négociations-tromperies, absurdes et inutiles. Objectivement, la négligence de l’élément « justice » de cette initiative produira plus de frustration et plus de répercussions de violence, allongera le temps de « fausses-négociations » en laissant le champ libre pour la politique coloniale d’Israël pour accomplir son projet dangereux de la colonisation de peuplement et de pratiquer l’apartheid en plein jour.
Cette initiative française veut sauver l’État d’Israël mais aussi sauver une classe politique palestinienne aussi bien « laïque » installée à Ramallah qu’islamiste installée à Gaza, une classe politique à bout de souffle et sans projet politique. En revanche, la société civile palestinienne dans son ensemble, en Palestine et en exil, est traversée par un élan de créativité politique qui a abouti à la création du mouvement BDS d’un côté et au début d’un mouvement en gestation d’ODS (One Democratic State) : le mouvement pour le Droit au Retour et pour un seul État Démocratique pour tous ses citoyens.
L’ODS représente une force politique palestinienne naissante, une force de proposition humaine, progressiste et pacifique envers la société juive pour la création d’un pays commun sous l’autorité d’un État commun sans ségrégation, ni suprématie ethnique ou religieuse, sans murs d’apartheid et sans guerre. Il s’agit d’une Initiative de paix de la part de la société civile palestinienne.
L’OSDS : Initiative de paix en gestation
Pour évoquer la naissance de ce mouvement, je vais exposer mes appréciations personnelles et les informations que j’ai pu collecter sur le terrain concernant les effets catastrophiques de ces 23 ans de dites « négociations pour la paix » que l’Initiative Française veut prolonger Incontestablement, il y a davantage de colonisation (147.000 colons en 1993 – plus de 500.000 en 2016), davantage de répression et de meurtres en plein jour et moins d’illusions sur la possibilité d’avoir, un jour, un État Palestinien sur les territoires restant de la Palestine mandataire (22%) comme l’avait préconisé les accords d’Oslo.
Nous pouvons observer l’état de désespoir, de frustration des populations réprimées, appauvries mais en colère ; colère destinée principalement à l’encontre des forces d’occupation coloniale mais aussi contre ladite « Autorité Palestinienne », ses compromis gratuits avec l’occupant (collaboration en matière de sécurité), sa répression des mouvements sociaux (la grève des enseignants) et sa corruption notoire. En discutant avec nos interlocuteurs, les avis concordent sur cette fin d’époque qu’est « l’après-Oslo » suite à l’échec retentissant de cette solution représentée comme la solution de Deux États. Une solution qui a marginalisé et exclu les trois quarts du peuple palestinien du processus politique notamment en laissant mourir en exil (les réfugies des camps de Syrie), laissés pour compte et en proie à l’arbitraire et la ségrégation (en Iraq, au Liban).
Nous pouvons entendre la dénonciation de la tromperie d’Oslo et son produit que l’Autorité Palestinienne représente, un produit dérivé du colonialisme Israélien, de l’avancée des valeurs du marché extra-libéral et mondialisé (le lourd endettement des foyers, la consommation érigée comme valeur suprême) et de l’abandon du Droit au Retour pour les réfugiés (un Bantoustan – ghetto comme prix pour cet abandon).
Nos interlocuteurs affirment qu’apparaît maintenant très évidente, aux yeux du peuple palestinien, cette contradiction entre la soi-disant création de l’État Palestinien et la continuité de revendiquer le Droit au
Retour : en effet, la « gauche » sioniste, instigatrice des Accords d’Oslo, a fait comprendre depuis le début des « négociations » que l’un exclut l’autre (un État-fiction et sans souveraineté contre l’abandon de Droit au Retour).
L’objectif des Travaillistes a été basé sur des considérations colonialistes et de racisme : liquider le DR pour sauver le caractère Juif et Démocratique de l’État d’Israël, un État-nation juif exclusivement. Dans cette perspective coloniale, la gauche sioniste a imaginé mettre fin au conflit pour annoncer la victoire finale du sionisme : les Palestiniens acceptent finalement la fiction politico-biblique sioniste, son récit de l’histoire et son discours.
Dans ce contexte, plusieurs interlocuteurs utilisent le mot « raciste » pour qualifier la solution de Deux États, une terminologie politique inhabituelle, car ils considèrent que l’État basé sur une appartenance ethnique exclusive (juif pour l’un et palestinien pour l’autre) ne peut être que « nationaliste » et restrictif en excluant l’autre de son espace et en le expulsant derrière des murs et des frontières sûres et hautement militarisées.
Nos interlocuteurs parmi des intellectuels et de militants qui ont adopté une réflexion critique vis-à-vis de l’AP-OLP-Fatah, dénoncent cette solution de Deux États et ils considèrent que le Hamas à son tour a accepté cette solution malgré son discours de non-reconnaissance de l’État d’Israël et que cette reconnaissance explicite (OLP et Fatah) et implicite (Hamas) légitiment la domination coloniale de l’État sioniste sur plus de 80% de la Palestine mandataire.
Alors que la droite Israélienne a mis fin aux Accords d’Oslo, cette tendance à la domination coloniale intégrale est désormais en marche accélérée sur la terre de la Palestine mandataire dans son ensemble, où il n’y aura tout simplement pas de place pour le palestinien. C’est-à-dire, une Palestine mandataire, judaïsée et unifiée sous l’autorité d’un seul État, un État colonial, d’apartheid et ségrégationniste.
Ce développement sur le terrain est l’arrière-plan pour la réémergence de l’idée de l’État Séculier et Démocratique Unique sur la terre de la Palestine mandataire (Les années 1930-40 : État unique Palestinien Arabe incluant ses citoyens juifs, les années 70 : État Palestinien Séculier et Démocratique pour ses habitants y compris sa population juive).
Le retour de cette proposition politique de l’État unique et démocratique (OSDS : One Secular Democratic State) a connu une progression significative ces dernières années et il a été accompagné parallèlement par le renforcement de l’idée du boycott comme un moyen de pression pour stopper la politique coloniale impunie d’Israël (la création du mouvement BDS).
Nos interlocuteurs évoquent cette articulation entre les deux mouvements. L’un (l’ODS), propose une nouvelle stratégie palestinienne vers le peuple palestinien mais aussi pour la société juive Israélienne et l’autre (le BDS), s’active pour la mise en œuvre des moyens de résistance civique et pacifique pour lutter contre l’impunité et la toute-puissance de l’État d’apartheid : une étape nécessaire pour son démantèlement et un outil politique légitime pour ouvrir des perspectives pour un État démocratique post-nationaliste pour tous ses citoyens sans distinction.
Nous ne pouvons que constater que cette nouvelle politique impulsée par des intellectuels et militants est largement d’inspiration progressiste et laïque ; c’est une politique d’ouverture sur l’autre (des relations étroites avec des militants et syndicalistes de MAAN, un syndicat mixte judéo-palestinien) pour aborder ensemble les questions épineuses de désaccord que l’idéologie sioniste a réussi partiellement à semer dans les relations entre les Palestiniens et les juifs israéliens.
Cette nouvelle politique militante vise d’abord à mobiliser et à unifier le peuple palestinien autour d’un mot d’ordre pour la création d’un État unique sur l’espace de la Palestine mandataire.
Elle serait aussi capable de produire des effets, tant attendus de côté palestinien, concernant le début d’une réflexion de la part de la société israélienne sur sa position de domination coloniale et sur sa complicité et passivité envers ses élites sionistes, racistes, instigatrices de guerres et de haine « tribale » d’un autre temps.
Ainsi, sur le terrain en Palestine, émerge du chaos et du désespoir une force de résistance pacifique avec une capacité de résilience incroyable : une capacité à se réinventer, produire une nouvelle pensée politique vivante, progressiste, non ethnique et hautement éthique. Pas de cris de guerre ou de vengeance aveugle mais une lutte pacifique et déterminée.
L’État Démocratique Unique que cette initiative promeut est un État pour tous ses citoyens, juifs, palestiniens de l’intérieur et ceux de l’extérieur (DR pour tous les réfugiés et l’obtention de leurs droits spoliés depuis 1948 et leurs droits du moment, droits politiques et civiques à la fois).
Il insiste sur le fait que la lutte palestinienne en ce moment n’a aucune hostilité envers la population juive de l’État actuel d’Israël, ces populations juives seront les partenaires futurs d’une citoyenneté partagée. Une citoyenneté en-devenir à construire ensemble. Dans cet État unique pour un seul pays pour tous les citoyens, la paix durable sera possible, une paix basée sur la justice, le respect de la différence, et ainsi, la stabilité régionale et une garantie pour la paix mondiale.