La laïcité ici, la théocratie là-bas ou comment la France Laïque soutient l’État « juif »

Bonaparte 1799 devant les murs de Akka

Naji El Khatib

Introduction

ODS, One Democratic State, est une proposition politique palestinienne formulée par des intellectuels et par des groupes et mouvements politiques en Palestine et dans la diaspora palestinienne (cf. « La campagne pour One démocratique State » animée par Awad Abdel-Fatah). Une partie de ces groupements et groupuscules adhèrent à l’idée d’un élargissement de ce paradigme pour inclure plus clairement le caractère séculier de cet État (le défunt Salamé Kaileh et des autres qui associe la laïcité à la démocratie). Nombre limité d’intellectuels juifs Israéliens (Ilan Pappé et des autres) et des occidentaux participent activement à cet effort d’élaboration de cette proposition d’avenir qui possède le caractère postcolonial et post-national à la fois.

Secular Palestine : une proposition politique prometteuse

Cette proposition politique jaillissant dans des milieux d’activistes palestiniens, présente des potentialités politiques capables d’inventer une nouvelle conception du conflit sur la Palestine-en-devenir où cohabite pacifiquement palestiniens et juifs libérés du sionisme. Mais aussi, cette proposition présente un outil d’analyse concernant la nature de cette « résistance » de la France (et l’Europe généralement) à l’admettre ou à l’envisager comme La solution véritable de conflit palestino-israélien.

Cette « résistance » française (et européenne) contre une solution Laïque et Démocratique vu comme le fondement de la République en France est « étonnant » : si la laïcité et la démocratie sont bonnes pour la France, pourquoi elles ne seront pas bonnes pour la Palestine ? Comment un pays se définissant laïque soutient l’état d’Israël en étant État juif, un État qui a légiféré sur une citoyenneté basée sur l’appartenance unique à une religion, le judaïsme ? Un État qui a pratiqué le nettoyage ethnique contre les Palestiniens, natifs et autochtones de la Palestine. Un État qui a forcé ses citoyens juifs arabes et orientaux à s’assimiler à un modèle unique du juif Ashkénaze, blanc et européen (cf.Ella Habiba Shohat).

En effet, la compréhension de ce manque d’intérêt français et européen pour cette proposition palestinienne jouera le rôle d’analyseur qui pourrait répondre à des interrogations sur le fondement de la politique européenne, une politique tentée par une islamophobie galopante, une stigmatisation accrue des populations issues de ses anciennes colonies.

Cette proposition palestinienne et cette difficulté française et européenne à la lire reflétera peut-être une collision entre le projet sioniste en Palestine depuis le départ et les visions euro-centristes, orientalistes et coloniales de la France ! (Ella Shohat considère que le projet sioniste a des visions orientalistes euro-centristes)

En plaçant cette proposition dans le cadre de l’invincible aux yeux des anciens colonialistes, nous pouvons opérer une étape décolonisant le savoir et la pratique politique et culturelle européenne ainsi que ’histoire coloniale en générale. (cf. Walter Rodney)

Akka la Palestinienne
Akka la Palestinienne

Contexte

Nous avons l’habitude d’entendre très souvent que la création de Deux États, La Palestine et Israël est La « Seul » Solution du conflit israélo-palestinien. Une « solution » reconnue possible et souhaitable par la « communauté internationale ». Une solution « nationaliste » et étatique à la fois. Une solution « raciste » aussi : chaque « nation » en conflit reste chez elle dans son espace territorial.

L’équation Nation-État est chère à la pensée politique occidentale. Les deux éléments de l’équation sont inséparables dans la conscience politique mais aussi dans les perceptions populaires en Occident. L’État-Nation est l’expression presque unique de la volonté d’une communauté nationale de vivre à l’intérieur des frontières reconnues et défendues. ‎

En France‎ ; ‎la fin de l‎’‎Empire colonial, dont la guerre d‎’‎indépendance nationale algérienne a ‎‏été son ‎dernière acte retentissant ‎‏‎(‎après la guerre d‎’‎Indochine‎),‎‏ ‏est un retour aux normes : l’empire colonial français est une entité politique vouée à l’échec. La France se rétrécit à sa dimension initiale : État-nation sur ses territoires d’origine avec quelques « possessions d’outre-mer » en souvenir de son passé colonial.

Est-ce que ce passé colonial de la France et sa conception de l’État-Nation comme le champ politique unique de l’entreprise étatique est responsable de l’aveuglement de sa politique concernant le conflit israélo-palestinien d’aujourd’hui ?

La mort annoncée de cette solution de Deux États et son impossibilité d’application sont des éléments insignifiants auprès d’une majorité de la classe politique de gauche et de droite confondue. Cette position française se traduit par une politique ambiguë : Il faut toujours donner toutes les chances à l’État d’Israël à vivre en paix avec ses voisins palestiniens en étant État Juif exclusivement avec l’éventualité de créer un État pour ces derniers (s’il serait possible, selon la position de tous les gouvernements de droite et de gauche et nécessairement important à mettre en œuvre, pour des considérations de justice pour les partis de gauche).

Comment expliquer cette convergence entre les partis de gauche et de Droite, entre les partis du gouvernement et de ceux de l’opposition sur la solution moribonde de Deux États et leur incompréhension vis-à-vis de la proposition palestinienne de créer un État Unique, démocratique et séculier comme la seule solution juste, équitable, non-raciste et surtout la seule solution possible ?

La Palestine séculier et démocratique est un « Analyseur » de l’antisémitisme latent en France et en Europe ?

Pour répondre à cette interrogation, nous pouvons avancer plusieurs hypothèses que nous allons approfondir par la suite :

Un retour à l’analyse de Hannah Arendt sur la collision entre des chefs sionistes des années 40 de siècle dernier avec la politique nazi peut fournir quelques éléments intéressants :

Antisémitisme à deux acteurs : sioniste et euro-américain

Les sionistes et les Nazis ont partagé le même objectif raciste, qui consiste pour les nazis de débarrasser des juifs européens soit par un massacre généralisé soit par la déportation en dehors de l’Europe. Pour les sionistes l’objectif de créer un État Juif en Palestine passe par une affirmation de l’identité juive contre les dangers de l’assimilation en Europe et ceci à travers la menace et la mise en application d’extermination des juifs dans l’espace européen. Menace et exécution d’extermination et promesse d’un salut dans un État – Nation Juif se conjugue pour que la création d’un État Juif apparait comme la solution unique aux problèmes de l’antisémitisme européen, à la fois pour les juifs et pour les antisémites également.

Est-ce que cette arrière-pensée européenne et française autour de la nécessité de créer et de faire exister durablement un État pour la « nation » Juive, réservé uniquement pour les juifs au prix de pratiquer le nettoyage ethnique contre les natifs de la Palestine pour garder sa « pureté raciale » est le fond de cette attitude d’hostilité envers une solution démocratique et séculière vu comme menace pour cet État racial, ethniciste et uni-confessionnel ?

Dans l’inconscience antisémite européenne (et américaine par extension), Un État pour tous les juifs est bien commode ! Il a été dans le passé (au lieu d’acheminer les juifs rescapés des camps de concentration dans leurs foyers en Europe, ils sont envoyés par bateaux pour la Palestine en complicité avec les sionistes de l’Agence Juive) et il pourrait être également pour le temps présent (la contre-migration d’Israël se dirige essentiellement vers l’Europe et l’Amérique de Nord).

Eurocentrisme colonial et étatique :

Selon Hannah Arendt, l’État-nation et ses prétentions pour la souveraineté est une marque de despotisme politique liberticide. À partir de cette analyse d’Arendt, nous pouvons dire que la proposition ODS représente un modèle étatique post-national permettant à la population juive israélisée de vivre leur judéité débarrasser du sionisme qui est une idéologique nationaliste-étatique. Il s’agit d’une décolonisation de cette conscience sioniste et euro-centriste européenne.

Alors, un État séculier non éthniciste où les identités culturelles et confessionnelles de ses citoyens échappent à la racialisation est loin d’être un état « normal » dans les discours colonialistes car le modèle colonial est unique, c’est le modèle de l’État-Nation, l’État des Blancs pour les blancs uniquement.

Alors, la proposition d’un État séculier et démocratique se heurte au seul modèle « légitime » du pouvoir politique selon les conceptions euro-américano-centriste tandis que l’État d’Israël comme État-Nation Juif, Blanc, « européen » correspond pleinement à ce modèle Occidental-centriste.

La Palestine séculière et démocratique est un « Analyseur » des limites du modèle jacobin de l’État-nation français et de ses modèles culturels ?

La perception coloniale enfouie dans la conscience française et européenne peut s’élargir pour assimiler les palestiniens aux indigènes des anciennes colonies françaises (vu comme les banlieusards étiquetés « islamistes », « dangereux » et solidaires instinctivement des palestiniens). L’indigène palestinien, cette fois-ci apparaît comme « primitif », « Islamiste », « terroriste ». Une perception qui le renvoie à une sous-catégorie vouée à la stigmatisation et ceci, dans un racisme ordinaire euro centriste. Ce « primitif » oriental s’oppose à la perception de l’israélien comme le « civilisé » occidental. Israël comme l’État-nation juif « européen » et civilisé est forcément supérieur et « prioritaire » et plus « juste » et plus « légitime » de toutes autres propositions politiques provenant de « l’’Autre », le palestinien. (le palestinien, figure du nègre de Achille Mbembe)    

Il y aura effectivement une difficulté de percevoir les Palestiniens comme une force de proposition politique moderniste et progressive.

Une proposition politique palestinienne comme un « analyseur » de la contradiction de la « laïcité » à la française qui accepte les deux notions antagonistes : « État-Juif », « État Démocratique ».

La difficulté française à discuter d’une nouvelle proposition politique émanant des Palestiniens a des liens avec la politique coloniale de la France. Cette proposition est en opposition à ce que la politique coloniale Franco-Britannique a décidé en 1916 (Sykes-Picot) suivi par « La Déclaration Balfour) en 1917. Il s’agit alors d’un refus d’admettre la continuité et la durabilité de cette politique coloniale jusqu’au aujourd’hui (Ann Laura Stoler). Sykes, Picot et Balfour ont décidé de créer l’État juif dans la colonie « la Palestine » et cette création impériale doit durer. Le discours colonial doit lui aussi durer dans un temps de légitimation postcoloniale, y compris chez les colonisés et les anciens colonisés (cf. Gayatri Spivak)

Toute autre proposition suspectée de démanteler cet État d’Apartheid est à combattre par la politique postcoloniale qui découle de cet héritage colonial. Or, le refus de la France d’« importer » le conflit israélo-palestinien sur la scène politique franco-française est un refus d’admettre que la politique coloniale de la France a aussi sa part de responsabilité dans la tragédie palestinienne.

Ce refus exprime dans ce sens la difficulté de la France de se pencher sur sa propre histoire coloniale non pas seulement en Algérie mais aussi en Palestine.

En effet, la proposition ODS opère un retour aux racines du conflit et notamment à la Nakba suite à la création de l’État d’Israël pour les seuls juifs installés sur les ruines de la société et la terre palestinienne. Ce retour démystifie le discours sioniste et les discours occidentaux qui l’ont soutenu et cette démystification déjoue les discours vus et considérés comme des « vérités » habituelles et irréfutables grâce à des machines de guerre médiatiques sionistes et occidentales. Or, il s’agit ici d’un effort de décolonisation contre les mensonges de l’histoire coloniale française comme israélienne.  Il pourrait aussi révéler l’ambigüité d’une partie de l’élite colonisé à travers l’attractivité que le modèle colonial a pu introduire chez les colonisés. (cf. Ranajit Guha)

Cette proposition dans le cadre français est pédagogique car elle interroge l’histoire coloniale de la France, la complicité française avec son alter-égo sioniste et aussi bien une partie des élites colonisées.

Conclusion

Si la mission « civilisatrice » de la colonisation a prétendu « démocratiser » et « laïciser » le colonisé considéré comme stagnant dans un état infantile et primitif, la proposition palestinienne concernant une Palestine séculière déconstruit ces discours coloniaux, elle démontre ses limites et ses fausses prétentions « progressistes ». En faisant ainsi, le colonisé devient l’analyseur du colonialiste, opérant ainsi un « orientalisme-renversé ». Est-ce que le rejet européen d’admettre cette proposition palestinienne est le reflet d’un refus d’admettre l’Autre, le colonisé, dans sa tentative sans-précèdent d’imposer sa perception de l’Histoire coloniale. Une histoire interprétée d’une façon univoque par le colonisateur européen (et ainsi ashkénaze avant qu’elle soit intégrée par les juifs israéliens ashkénazes et séfarades confondue) ?

Est-ce que cette sourde oriel européen est dû à cette mise à nu du colonialisme européen et ashkénaze de la part du colonisé qui a emprunté les propres outils d’analyse au colonisateur pour démasquer sa soi-disant supériorité civilisationnelle ?

Nous savons bien l’attrait de discours sioniste, orientaliste et euro-centriste concernant le colon ashkénaze transformant la Palestine désertique, souvent sans peuple (et s’il existe des fois, il est sauvage et primitif) en paradis sur terre, « travailliste », « socialiste » et même « féministe ».

Alors, nous pouvons supposer que cette proposition politique palestinienne dérange les discours politiquement corrects des anciens colonisateurs (européens) et des nouveaux colonisateurs israéliens d’où son rejet frontal.

Ce retour du « colonisé-refoulé » (Palestinien en l’occurrence) sur la scène politique perturbe les certitudes politiques et philosophiques vues comme « rationalistes », « normales » et « habituelles ». Cette perturbation de l’ordre établi occidental, Israélien, capitaliste, impérialiste, machiste et misogyne peut s’aggraver si les revendications palestiniennes s’articulent avec les causes des travailleurs exploités dans le monde entier, les natifs opprimés, des exclus du monde capitaliste mondialisé.

Si la colonisation européenne et sioniste a incarné la domination d’une masculinité phallique conquérante (cf. Antoinette Fouque), la paradigme-proposition politique de Secular Palestine est un œuvre de décolonisation du savoir et du politique. Il s’agit d’une nouveauté qui pourrait représenter un objet d’identification chez les opprimés de toutes les classes des travailleurs et toutes les catégories populaires à travers le monde. Il s’agit d’un combat commun, où la justice en Palestine devient le synonyme d’une justice globale.